Sur les 50 km qui séparent Thonon-les-Bains du col de Joux Plane (Morzine / Les Gets), les roches du Chablais permettent de décrypter l’histoire de la formation des Alpes. La vallée de la Dranse de Morzine est une coupe géologique naturelle, depuis les laves en coussin des Gets (témoins de l’ancien océan alpin), jusqu’au Léman né du glacier du Rhône. C’est pourquoi ici, 245 millions d’années se racontent…
Histoire géologique simplifiée du Chablais
L’histoire de la formation des paysages du Chablais a débuté il y près de 245 millions d’années (Ma). Elle peut se décomposer en 3 grands actes : la formation des roches, la formation des reliefs puis le modelage des paysages par l’érosion et par l’homme.
Acte 1 : la formation des roches
Il y a 245 Ma, au début de l’ère Mésozoïque (ou Secondaire), la Terre ne ressemblait pas à ce qu’elle est aujourd’hui. La Pangée se fragmente. Entre les futures Europe et Afrique s’ouvre une mer : la mer Téthys.
Au Mézozoïque : Trias, Jurassique et Crétacé
Tout au long de l’ère Mézozoïque, les roches des Préalpes du Chablais se forment dans la mer Téthys, qui devient de plus en plus vaste. Même les deux larges bordures des continents européen et africain étaient sous l’eau : pas une seule montagne à l’horizon.
- Au Trias : une mer Téthys peu profonde, un climat chaud
Dans cette mer « d’avant les Alpes », les premiers dépôts, peu profonds, sont des dolomies et des gypses du Trias (-220 Ma). Mais, notre planète étant en lente et perpétuelle transformation, la mer Téthys va d’abord s’agrandir par écartement (ou rifting) entre l’Europe et l’Afrique.
- Au Jurassique : la mer s’agrandit, rifting et ouverture de l’océan Téthys
Au début du Jurassique (Lias, -200 Ma puis Dogger, -170 Ma), des tremblements de terre secouent les deux bordures continentales immergées : les falaises (principalement dolomitiques) s’écroulent parfois, leurs débris s’y sédimentent pour former des brèches.
Au cours du Jurassique, la mer devient un océan : au milieu, par écartement continuel, se crée une ride médio-océanique où s’épanchent des basaltes en coussins, que l’on peut observer aujourd’hui dans la région des Gets.
Vers la fin du Jurassique (la période du Malm, -150 à -140 Ma), dans une eau limpide et par climat chaud, de grandes quantités de calcaire à pâte fine se forment par précipitation chimique. Ce sont les roches les plus visibles dans le paysage des Préalpes : des calcaires clairs et massifs, qui forment toujours des sommets escarpés avec d’épaisses barres rocheuses, telles que la Dent d’Oche ou la Pointe d’Ireuse.
- Au Crétacé : le début de la fermeture océanique
De grands changements vont se produire au cours de la période du Crétacé. La dynamique mondiale de dérive des continents et des océans va faire se rapprocher l’Europe de l’Afrique, la Téthys redevenant plus étroite. Beaucoup de calcaires, mais aussi des argiles amenées par les rivières, se sédimentent au large des côtes. A la fin du Crétacé (-80 à -65 Ma), sous un climat tropical, des fleuves rouges et boueux (riches en fer oxydé et argiles) se jetant dans la mer, vont donner naissance aux Couches Rouges visibles dans les vallées d’Abondance, d’Aulps et du Brevon.
Au Cénozoïque
Au début du Cénozoïque, durant le Tertiaire, la Téthys n’est plus très large, une grande partie de l’océan s’étant déjà enfoncée sous l’Afrique (par subduction). Il reste une mer en bordure de l’Europe où se déposent encore des calcaires, mais cette fois très riches en microfossiles appelés nummulites : on peut observer ces calcaires à nummulites dans la région de Bostan.
Acte 2 : le plissement des nappes
L’ère cénozoïque va devenir principalement celle de la naissance des montagnes. La subduction continue et la bordure européenne de la Téthys va aussi s’enfoncer sous la plaque africaine : de -50 à -30 Ma, les sédiments marins, pris en étau entre les deux continents, vont être raclés puis déformés.
Cette “collision” entraine un empilement des anciennes zones de sédimentation, les plus méridionales sur les plus septentrionales. Malgré ce grand carambolage, les ensembles de roches gardent leur disposition en couches qui s’inclinent et se structurent en grands massifs montagneux.
Ainsi, les roches formées dans les zones sédimentaires différentes disposées les unes à côtés des autres vont s’empiler les unes sur les autres. Cela devient ce que les géologues appellent des “nappes”, des unités de roches qui subissent un mouvement horizontal et une superposition verticale (voir schéma simplifié).
La bordure de l’Europe va devenir la nappe de Morcles (couleur vert clair, en dessous sur le schéma), les hauts fonds de l’île briançonnaise la nappe des Préalpes Médianes (en rose clair) et son escarpement sud la nappe de la Brèche (rose foncé), les sédiments du fond de l’océan la nappe des Gets (vert foncé) et sa bordure africaine les nappes supérieures des Préalpes (vert pomme, au dessus sur le schéma).
A plus petite échelle, cette tectonique va plisser les couches et provoquer de nombreuses failles et fissures. A peine édifiées, les Alpes et les Préalpes (en particulier les nappes supérieures) vont être attaquées par l’érosion, dont les dépôts (sable et galets) vont donner naissance à une roche détritique : la Molasse, il y a 30 à 20 millions d’années.
Acte 3 : le modelage du paysage par l’érosion
La fin (provisoire) de cette longue histoire va se dérouler pendant le Quaternaire, durant les deux derniers millions d’années. Les glaciers vont sculpter le paysage, creuser et élargir les vallées, s’étaler sur la France et le plateau Suisse, et donner naissance aux lacs. La touche finale sera donnée par les hommes, derniers venus dans cette nature magnifique.
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Pour aller plus loin, retrouvez la bibliographie générale et scientifique.